L'empreinte de l'ange. (2008)

Une Empreinte à emprunter
Percutant de lire sur l'inspiration du jeu de Catherine Frot que le réalisateur Safy Nebbou avait insisté sur l'étude de documentaires animaliers. En effet "L'empreinte de l'ange" puise l'essence de son caractère perturbant dans cette forte teneur comportementale du rôle d'Elsa qui se communique comme par un dialogue muet et mimétique à sa "rivale" Claire (Sandrine Bonnaire), et qu'on ressent même à l'état instinctif chez la jeune Lola. Ainsi le discours de Safy Nebbou est parfaitement retranscrit dans ses images: l'instinct maternel auquel on ne croit pas nécessairement mais qui s'exprime pourtant de façon quasi violente et inéluctable en réactions biochimiques internes; la menace et la méfiance plus qu'une logique de jalousie, quelque chose qui relève du réflexe de survie et de délimitation d'un périmètre de sécurité pour la protection de sa progéniture; la perte des pédales aussi, lorsque l'attaque et la blessure psychologiques devraient être physiquement fatales tant elles anéantissent l'espoir, supplantent la raison, et sont insupportablement douloureuses pour l'entendement.

On connaît déjà Catherine Frot souvent engoncée dans des rôles introvertis, qui la saucissonnent de jupes serrées, élégantes mais étroites et peu confortables de retenue et d'effacement. Elle s'échappe à l'occasion de ces tenues beiges et malcommodes de petite bourgeoise résignée par un fou-rire déplacé légèrement plus haut que d'habitude et incontrôlable, par un trébuchement de côté, un pétage de plombs soudain et libérateur. Autant dire que l'occasion reste rare, provoquée par une gentille cuite, le comique d'une situation, un excès d'autodérision ou un débordement de fatigue limite dépressif. L'actrice convainc de l'acceptation de sa situation, et son côté joué de niaise un peu simplette se traduit fréquemment comme un mode défensif pour assumer les remous et poids de l'existence. Une sorte de méthode "régulateurs d'humeur" anesthésiante. Cette fois-ci pourtant c'est différent: on comprend d'entrée de jeu que les allures modestes, régulières et pratiques du quotidien de la mère en instance de divorce, relèvent d'une discipline salvatrice de qui s'est donné une ultime chance de s'en sortir après un drame. Autrement dit: un fonctionnement réglé comme une partition proprette, mais qui, s'il n'était pas encore abruti de sédatifs de temps en temps, menacerait d'une implosion nerveuse dévastatrice. D'ailleurs l'attitude animale de la mère dépasse les actions d'épier, guetter, rôder et traquer, bondir et couver, pour un raisonnement plus ou moins anthropomorphique d'impossibilité d'oubli ou de pardon de la souffrance et du danger. Elsa ne se remettra jamais de la perte de sa fille naissante dans l'incendie de la maternité, et si elle remporte ce combat sur elle-même de réordonner sa vie pour sauver les apparences et la garde de son fils, c'est qu'elle s'est intérieurement fait le serment de ne jamais accepter ni se résigner à la monstrueuse réalité du deuil de l'enfant. C'est ce qui explique avec quelle force quelle passion quelle conviction elle reconnaît, sait, ressent l'attraction filiale, le lien du sang et de la chair. C'est ce même phénomène mi-phéromonal mi-magnétique qui electrise l'air et stresse les particules de l'espace vital de Claire, dès lors sur une position défensive voire sur ses gardes d'attaquer. Le duel des deux femmes est contenu et ne verse pas dans le mélodramatique, car il existe une vérité, une espèce de loi en quelque sorte, qui définit d'avance l'issue de l'affrontement, comme deux bêtes se reniflent et l'une se couche en offrant ses flancs en soumission à l'autre et épargnant l'épreuve de la force et du sang.

Si l'étiquette de "thriller psychologique" est collée sur une flopée de productions à la mode qui oscillent plus entre pulsions psychopathes, réminiscences de traumatismes freudiens et satyres antisociales, "L'empreinte de l'ange" (qui mériterait sans doute un autre type de titre moins symboliste) ne surjoue pas le sombre angoissant. Tout se passe en plein jour, dans la douleur du souvenir d'un fait divers. On se rapproche du cinéma de Michael Haneke, Dominik Moll ou Emmanuel Carrère chez qui le vertige émane d'un équilibre trop fonctionnel et si parfait que dès qu'il fêle enfin plus rien ne tourne rond, tout chavire et dévie pernicieusement (respectivement "Caché", "Lemming", "La moustache", en 2005). Ici on fouille presque une définition du style (thriller psychologique), le suspense résidant dans un mélange incertain et possiblement chimiquement toxique entre l'impression de surnaturel dans la tension dramatique et l'explication ou le déroulement/dénouement très "sciences naturelles". Une source de thriller inépuisable que la psychologie comme instabilité permanente entre le ressenti biologique (encaissement de la douleur) et sa transposition mentale (fantasmes, élucubrations, sentiments de survie, folie).

http://www.voir.ca/blogs/marion_gerbier/archive/2009/09/06/une-empreinte-224-emprunter.aspx